Mon, 25 Sep 2023

Senegal : un avocat de l'ethique sociale nomme Ousmane Sonko

The Conversation
02 Jun 2023, 04:40 GMT+10

Depuis des mois, le Senegal vit au rythme des ennuis et peripeties judiciaires d'Ousmane Sonko, le maire de Ziguinchor. Rival le plus serieux du president sortant à l'election presidentielle du 4 fevrier 2024, Sonko a ete condamne à deux ans de prison ferme et près de 980 dollars US d'amende pour corruption de jeunesse.

Le 15 juillet 2023, Ousmane Sonko aura 49 ans. Expert fiscal sorti de l'Ecole nationale d'administration (ENA), figure emblematique de la politique senegalaise, il termine à 45 ans, troisième lors de l'election presidentielle de 2019. Un vrai exploit pour celui qui etait devenu fonctionnaire de l'Etat senegalais en 2001, avant d'en être radie par un decret de l'actuel president Macky Sall, après plusieurs annees de fonction. Son crime : avoir manque au droit de reserve en reprochant à son pays des anomalies fiscales voire budgetaires.

Dès lors, une question se pose : un autre fonctionnaire aurait-il connu la même sanction ? En quoi l'etoile montante de la politique senegalaise derange-t-elle ?

L'actuel maire de Ziguinchor derange pour plusieurs raisons. La première est la tenue d'un discours antisystème qui lui vaut l'affection d'une jeunesse senegalaise, voire africaine, à la recherche de repères sûrs. Ces repères passent par exemple, par un rejet tacite de la Francafrique, la politique africaine de la France en Afrique en general et au Senegal en particulier. A cela, il faut ajouter le rejet du franc CFA, considere comme une monnaie coloniale par des millions de jeunes africains.

Ethique sociale

La deuxième raison, et pas la moindre, est la volonte affichee de faire appel à l'ethique sociale en politique. L'ethique sociale est cette branche de l'ethique ayant trait aux actions des groupes, des instances sociales et des institutions. Serait-ce sa passion pour cette ethique sociale qui fait peur à ses detracteurs? La question merite d'être posee. En effet, la mise en oeuvre de cette ethique sociale se traduit dans le discours politique de Sonko dans lequel il privilegie les interêts superieurs du Senegal où certaines puissances coloniales vont être vues comme des partenaires parmi tant d'autres et pas forcement des partenaires privilegies. Ce recours à l'ethique donne parfois l'impression que le mariage entre l'ethique et la politique en Afrique conduit presque, automatiquement au divorce. Aussi, peut-on se demander si l'ethique veut mettre de l'ordre là où la politique apporte parfois le desordre. Les scandales de corruption dans certains pays nous amènent à nous demander où se trouve la place de l'ethique en politique.

Le parti politique de Sonko, faut-il rappeler, fait reference à l'ethique comme l'indique sa denomination : Patriotes du Senegal pour le travail, l'ethique et la fraternite (Pastef). En effet, très peu de partis politiques en Afrique portent en leur sein, la mention ethique. Celle-ci peut paraître banale, mais reste essentielle à la vie socio-politique et economique d'un pays qui se veut democratique et qui prone une certaine justice sociale.

Justice sociale

La justice sociale incarne une forme d'ideal pour une jeunesse africaine abandonnee à elle-même. Selon cette justice sociale, il faut rendre à chacun selon sa productivite economique, ses fonctions voire ses responsabilites. Son expression latine reste on ne peut plus claire : "Suum cuique tradere", c'est-à-dire : "rendre à chacun ce qui lui est dû". Il s'agit de rendre à la jeunesse africaine ce qui lui est dû. C'est ce genre de discours qui explique aussi cette hausse de popularite que l'on peut voir chez des jeunes politiques comme Ousmane Sonko au Senegal ou Succès Masra au Tchad.

En effet, un regard sur la politique africaine montre que l'ethique, si elle est prise au serieux, viendrait ajouter un supplement d'âme à ce qui manque à nos politiques nationales. En cela, Sonko derange une certaine classe politique refractaire à une forme de discours revolutionnaire. Discours que beaucoup de jeunes africains aimeraient entendre, surtout lorsqu'il est tenu par un jeune issu d'une generation proche à cette même jeunesse et qui plus est, rejoint ces jeunes dans le reel de leur vie et aborde leurs revendications sociopolitiques.

En somme, Ousmane Sonko tient un discours de rupture avec une certaine manière de faire la politique en Afrique et au Senegal avec notamment la sortie du franc CFA et son corollaire, l'independance economique des anciennes colonies partageant cette monnaie.

L'affaire Sonko

Depuis le 5 mars 2021, la vie politique de Sonko est entachee d'une affaire qui risque d'entamer une carrière politique si prometteuse. En cause, une plainte portee contre lui pour "viols repetitifs" et "menaces de mort", de la part d'Adji Sarr, une employee d'un salon de massage où l'homme politique voulait soulager ses problèmes de dos. Sonko va tour à tour perdre son immunite parlementaire, être mis aux arrêts, en plus de faire face à de nouveaux chefs d'accusation : "trouble à l'ordre public" et "participation à une manifestation non autorisee" ; avant d'être relâche. Entre temps, des manifestations eclatent et font une dizaine de morts. Sonko est soutenu par des partis politiques, y compris des mouvements de la societe civile. Si ce qui est reproche à Sonko pouvait être traite de facon equitable, sans parti pris, on se demanderait qui parmi les hommes ou femmes politiques sortirait indemne d'une telle situation. Dans une telle atmosphère, il n'est pas exclu qu'on soit en face d'une affaire dans une affaire.

Une affaire dans l'affaire

De l'avis de l'homme politique incrimine, l'actuel president Macky Sall veut le mettre hors-jeu de la course à la presidentielle de 2024, comme ce fut le cas avec d'autres opposants avant lui. Sonko va-t-il subir le même sort que Karim Wade ou Khalifa Sall? La question reste posee. Depuis deux ans, ce qui est desormais connu comme "l'affaire Sonko", reste un dossier brûlant de la politique senegalaise. Pour preuve, après deux ans de querelles politico-judiciaires, le 24 mai 2023, le procureur de Dakar a requis dix ans de reclusion contre le principal opposant à Macky Sall. Il a ete acquitte des faits de viol et de menaces de mort pour lesquels il etait poursuivi au depart. Chose regrettable, comme en 2021, cette affaire a encore fait des victimes.

Le 16 mai 2023, l'on a deplore encore une fois une situation tendue montrant des barricades, des pneus brûles et des pertes en vies humaines. Si le procureur de Dakar a requis dix ans d'emprisonnement contre Sonko, il existe ici et là des zones d'ombre. Depuis quelques mois, circulent des audios d'un certain MC Niass, sur les reseaux sociaux. La plaignante Adji Sarr y fait etat de l'existence d'un "deal" politique contre Sonko", avant de se dedire.

Le leader de Pastef etait absent à son procès, pour des raisons liees à sa securite. Le procureur a requis dix ans de reclusion criminelle contre lui. Le dernier mot revient au president de la cour qui donnera son verdict le 1er juin, alors que le doute persiste. L'existence de contradictions parmi les temoins donne au procès une teinte curieuse avec cet autre chef d'accusation : corruption de la jeunesse. S'agit-il donc d'un procès politique ? La question reste posee.

Author: Hermann-Habib KIBANGOU - Doctorant en Sociologie, Universit Laval The Conversation

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